J.-C. Romand, marchand, expert & collectionneur
Un marchand averti
C’est pour assister sa grand-mère Berthe Le Garrec (1884 † 1970), gérante de la Maison d’estampes et de dessins Sagot, que Jean-Claude Romand fait ses premiers pas en 1946 à la galerie aux côtés de sa mère Suzanne Romand (née Le Garrec). Parallèlement, il suit des cours d’histoire de l’art à l’École du Louvre avec Jean Adhémar comme professeur. En 1959, il fonde la société Sagot – Le Garrec en hommage à ses ancêtres et devient seul gérant (sa mère le suivra jusqu’en 1962 et sa grand-mère Berthe Le Garrec jusqu’en 1970). Il bénéficie de l’expérience de ses prédécesseurs et de la précieuse documentation trouvée dans la maison familiale pour en perpétuer la tradition. Mais ce qui lui est le plus précieux encore, ce sont les conseils que lui prodiguent sans compter les grands marchands qui lui ont transmis le fruit de leur expérience : ces grandes figures que furent Paul Prouté, Maurice Gobin et Marcel Guiot. Mais c’est sans doute avec Henri Petiet qu’il entretient les relations les plus suivies car ce grand marchand lui fait l’honneur de lui accorder à la fois sa confiance et son amitié. Puis c’est avec une nouvelle génération de confrères, comme Hubert Prouté, Pierre Michel et Marcel Lecomte, qu’il partage sa destinée de marchand notamment lors de leurs voyages à Berne pour assister aux ventes Kornfeld. C’est également l’époque de ces marchands avec qui il entretient des relations amicales : Robert Guiot, Philippe Brame, Philippe Agnus et Philippe Maréchaux. Il a été président de la Chambre Syndicale de l’Estampe, du Dessin et du Tableau de 1969 à 1977.
Un passionné d’estampe
Il présente tout au long de sa carrière un grand nombre d’expositions accompagnées de catalogues et constituées de sélections d’estampes et de dessins modernes de choix provenant des collections établies par Sagot ou par Le Garrec comme de ses propres achats. Ses artistes de prédilection sont Goya, Géricault, Delacroix, Manet, Corot, Pissarro, Gauguin, les Nabis, Jacques Villon, Henri Rivière et toute cette génération d’artistes qui ont participé au grand essor de l’estampe en France au tournant des XIXe et XXe siècles. Généreux, il n’hésite jamais à partager ses connaissances ou à ouvrir les archives de la galerie aux chercheurs et conservateurs en quête de précieux renseignements pour établir des catalogues raisonnés. Dresser ici une liste exhaustive, comme pour l’ensemble des expositions et catalogues, semble une tâche ardue tant la liste serait longue, mais ces études mériteraient à terme de voir le jour. Un des témoignages de ses connaissances sur l’estampe et le dessin moderne est sa relation amicale avec Samuel Josefowitz avec qui il partage sa passion pour l’école de Pont Aven, principalement Gauguin, et les Nabis. En 1979, il organise conjointement avec son confrère Marcel Lecomte une exposition Les figurines et autres sculptures de Daumier. Jean-Claude Romand présente les 36 bustes des Parlementaires qui constituent la série des Célébrités du Juste Milieu, originaux en terre crue coloriée accompagnés des fontes en bronze éditées par le Garrec en 1929. Ces originaux ont été acquis en 1980 par le musée d’Orsay. En 1981 pour le centenaire de la galerie, il organise une exposition réunissant 100 estampes modernes de toute rareté. À cette occasion, Mario Avati crée la manière noire Pour les cent ans d’une amie très distinguée. En 1981-1982, il présente la célèbre suite L’Estampe Originale. En 1984, il expose un ensemble d’estampes d’Henri Matisse à l’occasion de la publication du catalogue raisonné établi par Claude Duthuit et Françoise Garnaud. Il convient de citer également l’inventaire qu’il réalise avec Pierre Gassier de la collection Jacques Doucet, aujourd’hui conservée à l’INHA, qui se concrétise par l’exposition à la fondation Pierre Gianadda de 1992 De Goya à Matisse, estampes du fonds Jacques Doucet. Il a siégé au Conseil d’Administration de la SABAA où il a introduit son ami Daniel Morane avec qui il s’occupait également de la Société des Peintres-Graveurs Français. Parallèlement à sa passion pour l’estampe moderne, il organise avec l’aide de Claire Spinosi qui fut son assistante pendant près de trente ans des expositions d’artistes de l’immédiat après-guerre ou de sa génération avec notamment Laboureur, Dunoyer de Segonzac, Gromaire, Dubreuil, Goerg, Buffet, Masson, Hasegawa, Avati, Vilató, Lotiron, Minaux, Beaudin, Guiramand… En avril 2011, les artistes contemporains qu’il avait exposés lui rendirent un premier hommage.
Un expert chevronné
Sous l’impulsion de Maurice Rheims et d’Étienne Ader, il devient expert. Les plus grandes ventes qu’il réalise sont la vente Jacques Villon en 1976, la maison Eugène Delâtre et la vente de Louis Legrand en 1991, les trois ventes d’estampes de Steinlen de la succession Masseïda en 1982, 1995 et 1996, la grande vente Les Picasso de Dora Maar en 1998 et celle de la succession Marie Matisse en 2001. Mais la vente pour laquelle il eut le plus d’attachement et à laquelle il s’est consacré entièrement fut la dispersion de la collection du célèbre marchand Henri Petiet qui racheta le stock d’estampes d’Ambroise Vollard. Expert dès la première vente qui eut lieu le 12 juin 1991, il est sur le point de présenter la quarantième lorsqu’il meurt le 9 septembre 2009, trois mois avant cette dernière. L’expertise des ventes Petiet sera pour lui une forme de reconnaissance ultime et l’apothéose de sa longue carrière. Elle marquera aussi le début de sa collaboration avec son fils Nicolas Romand et le passage de témoin à ce dernier.
Tout au long de sa vie de marchand, Jean-Claude Romand a su, en amateur averti, constituer une collection particulière à partir de l’héritage de ses ancêtres mais aussi de ses achats et des cadeaux de ses amis artistes. De nombreuses personnes prenaient plaisir à lui rendre visite à la galerie, que ce soit rue du Four ou rue de Buci. Très impliqué dans le monde de l’estampe, il était fort apprécié à la fois pour son côté râleur mais aussi pour son caractère passionné, sympathique, généreux, charismatique et non dénué d’humour.